Tu déambules dans les rues de Brooklyn sans but précis, de ta démarche classe et élégante. Du moins, c’est ce que tu crois. En réalité, tu n’es qu’une fille de plus qui fait la belle perchée sur des talons hauts. Mais tu n’es en aucun cas vulgaire, et c’est déjà ça qui te distingue de beaucoup de personnes du quartier. « Si ton père est terroriste, t'es bien sa plus belle bombe. » Tu ne t'y attendais pas, à celle-là. Que cette réplique soit une technique d'approche, ou une allusion aux activités de ton père, cela reste pathétique. Tu ralentis le pas, jusqu'à t'arrêter devant les trois mecs assis sur un banc, qui affichent un sourire satisfait. Un sourire moqueur se dessine sur tes lèvres, des idiots comme eux, ça t'amuse. « Ton père c’est pas un gros ? Non parce que je vois un bide là. » Tu as toujours eu une répartie de merde, Jila. Mais il faut vivre avec. Tu n'attends même pas de voir leur réaction que tu reprends ta marche. Mais que nenni, un des mecs t’agrippes fortement l'avant bras pour te retenir.« Hé vazy, pars pas comme ça ma jolie. » Il a prit un autre ton. Plus grave, presque plus menaçant. Mais tu n'as pas peur. Parce que tu sais que quoi qu'il te fasse, il payera. Pas par ton billet, certes, mais il payera. Tu as une certaine protection. T'essaies de te dégager de son emprise, mais il exerce une pression trop forte. Il doit bien avoir 30 kilos de muscles de plus que toi. « Lâche moi putain. » Tu fais moins la maline, petite Fatemi. Tu n'as aucune chance face à un gabarit comme le sien, et tu le sais. Ce n'est pas la peur qui s’empare de toi, mais un sentiment de faiblesse. Tu n'es pas ton père. Tu n'as pas sa force, tu n'as pas sa puissance, tu n'as pas son influence, tu n'as pas ses contacts, ni son intelligence. Tu n'es pas importante, Jila. Tu n'es pas exceptionnelle. Tu es une fille comme les autres, avec un père différent. Tu n'es rien, rien du tout. Mais tu as du mal à le croire. Tellement de mal.
Un coup de genou dans l'entrejambe le fait plier en deux, et il te lâche. Ni une, ni deux, tu commences à courir pour leur échapper. Ils ne cherchent pas à te suivre, cette fois-ci.