Énième soirée passée avec son ombre pour seule compagnie, il quitte son appartement miteux sur le haut de Church Avenue, redescend ce long boulevard en frissonnant, son perfecto le couvrant trop peu pour faire face à ce mois de novembre bien maussade. Frileux qu’il est, sa chair s’affermit, ses lèvres charnues bleuissent. Il veut se rouler une cigarette, cette brise aigre, ce vent léger le décourage bien vite. Une légère averse s’invite aux festivités, Vajnirio hisse la capuche de son sweat sur le sommet de son crâne, frotte ses paumes l’une contre l’autre avant de les ramener vers son souffle chaud. Ses doigts épousent la courbe de sa mandibule, sa bouche, presque close, murmure une prière dans la langue créatrice. “Confìteor Deo omnipotènti et vobis, fratres, quia peccàvi nimis cogitatiòne, verbo, òpere et omissiòne : mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa. ” Je confesse à Dieu tout-puissant, je reconnais devant mes frères que j’ai péché, en pensée, en parole, par action et par omission. Oui, j’ai vraiment péché. Il sait que le divin ne se soucie plus de sa pauvre existence depuis bien longtemps, Vanni a trop failli pour oser prétendre à l’absolution ; il ne perd pourtant pas espoir, jongle entre supplications et cierges brûlés à l’église du coin de la rue. Sa foi, bien qu’ébranlée et diablement mal cachée, l’aide à ne pas perdre pied. Il avance, bouscule distraitement quelques armoires à glace tentées de lui chercher dispute par de douces injures ; il n’a pas la force ni l’envie de riposter, préfère tracer sa route. Le cuir humide, ses longs cils réceptacles des gouttes de pluie, il pousse finalement la porte d’un bar de quartier, s’assied au comptoir sans porter ne serait-ce qu’un regard aux ivrognes et autres amateurs l’entourant. Une belle brochette d’habitués en somme, il en connaît la plupart. Kemp ne prend pas la peine de rabattre sa capuche, s’éclaircit la gorge, lève l’index en direction du barman. Un d’mi Terrence. Terrence fait son job, encaisse les quelques dollars qui lui sont dus sans faire le moindre commentaire face à la mine éteinte de celui qui est habituellement un collègue de beuverie. Tout le monde ici sait quel est le mal qui ronge Vanni, personne n’ose évoquer le sujet. Une voix s’élève au-dessus de celle des autres, distincte, clairement baignée d’alcool. “Eh, Vanni, t'en as pas marre d'engrosser des nanas au hasard ?” L’interpellé hésite, se pince l’arête du nez, ricane dans sa barbe. A croire que les murs de Brooklyn ont des oreilles et sont passionnés par les commérages. Ses sourcils blonds écrasant ses paupières, Kemp tourne la tête vers Shrank, Schrank continue de plus belle. “Tu devrais t'poser, une bonne fois pour tou-” Ce vieil alcoolo n’a pas le temps de terminer sa phrase, Vanni se jette sur lui, son poing s’écrase sur un nez difforme. Il se redresse, se frotte la mâchoire avant de cracher avidement sur le pauvre homme. Mêle-toi d’ton cul, la prochaine fois, ses vieux démons refont surface, il serre les dents et s’en mord les joues. Et t’avises plus d’parler d’Louïsa, t’as compris ?!, qu’il gueule en l’attrapant par le col. Il le menace d’un nouveau, le lâche finalement avant de se précipiter vers l’extérieur, claquant les battants de la porte derrière lui. Un, deux, trois mètres sous un orage battant, il craque, peine à retenir quelques larmes. Est-ce qu’un homme pleure ? Non. Est-ce qu’un homme abandonne la fille à qui il tient plus qu’à ses propres tripes et qui, de surcroit, porte sa progéniture ? Non plus. Vanni inspire un grand coup, fait demi-tour, courre et slalome entre les marcheurs jusqu’à atteindre l’immeuble voulu. Quatre à quatre, il grimpe les marches de cet escalier de secours bruyant, tambourine à cette fenêtre trop familière. Si le pardon divin ne semble plus d’actualité, celui de Louïsa, en revanche, demeure encore un espoir. Ou tout du moins, c’est qu’il aime à penser.