Elle parle sans cesse, raconte sa vie comme si ça pouvait l'intéressé. Il reste silencieux, peu désireux de devoir répondre aux questions qu'elle pose parfois. Cette fille est un ouragan, une véritable pipelette qui n'arrête jamais. C'est aussi amusant que fatiguant. Mais il l'écoute quand même. Elle a une soeur et un frère cadets, deux frères aînés, la grande fratrie, une mère aimante, un père infidèle. Un labrador qui s'appelle Jack. Elle parle avec un sourire mélancolique, son visage d'ange blessée donnerait presque envie de la prendre dans ses bras. Il ne le fait pas. Par habitude, il sait que la compassion à deux franc cinquante, ça exaspère plus qu'autre chose. Elle parle de son frère qui a eut une tumeur, qui s'en est sortit, de sa soeur qui a trois amoureux alors qu'elle a huit ans, de sa mère qui a pleurer il y a une semaine en apprenant l'énième infidélité de son mari et de son père qui s'est excuser auprès de sa femme sans que rien ne change. Elle raconte tout, sans retenu. Étrangement, Soam doit inspirer confiance, sa sérénité factice laisse la possibilité de l'approcher, de lui parler, de ne pas se sentir oppressé. Il ne semble pas toujours écouter, pourtant il retient tout, pas parce qu'il le veut, non, parce que c'est plus fort que lui. A croire qu'il comble des années oubliées par des nouveaux renseignements à foison. Elle achève son récit, termine son verre et plante son regard dans celui de Soam, avec un sérieux qui l’effraierait presque. « Et toi, ta famille, ils sont comment ? » Il pourrait dire la vérité. Raconter qu'il a oublier, qu'il ne se souvient pas de tout ça. Que pour lui le mot famille n'a aucun sens. Que ce n'est qu'un mot, un voile noir sur son existence. Mais ce serait trop facile et la pitié des gens - ou leur incompréhension - ne l'intéresse pas. Pire encore: il n'est pas venue ici pour affronter ce que Ventura lui donnait par brassé: la pseudo-sympathie de personnes qui ne le connaisse pas vraiment et qui prétendent comprendre tout les malheurs du monde.

« Bah ... je viens de Ventura. Une sacré belle ville tu sais. Totalement différente de Brooklyn, t'es totalement le genre de fille que je verrais dans ce cadre là. C'est pas un reproche, c'est plutôt un compliment, Ventura c'est magique. Magnifique. Un peu comme toi. D'ailleurs, ça me fait penser qu'il y a un restaurant indien là-bas qui est délicieux, tu trouveras pas meilleure cuisine indienne. Enfin bref, un bel endroit, une belle vie. Et toi, tu m'as raconté l'histoire de toute ta famille, mais tu viens d'où ? »

Comme tant d'autre, elle se perd dans ses paroles, elle répond à la question, part dans un nouveau récit. Baratineur. Encore une fois, il esquive les questions, fuis le passé. Il suffit de paroles accompagnés d'un regard appuyé, d'un sourire amicale et tous les soucis disparaissent. C'est facile, presque trop. Et lui, il continue ça vie.