Elle s'allume une gitane, clac, clac, fait le zippo en enflammant la belle. C'est interdit. Lula s'en fout. Elle s'en fous parce qu'elle réécrira tout. Et même que c'est déjà fait. Elle a déjà tout réécrit. Un deuxième papier l'attend au chaud dans son loft défoncé, reposant entre deux tasses de thé. Elle en écrit toujours deux. Un chaud et un tiède. Comme ça, après le chaud, le tiède paraît froid et ça passe. Elle se dit que, parfois, il lui faudrait vraiment un agent pour négocier toutes ces merdes, pour dealer sa came rance et son écriture sous influence. Mais Lula n'est qu'une petite poussière, perdue dans la terrible atmosphère ; une scribouillarde qui a bien de la chance de bosser, on est à NYC ici, pas à LA. Alors elle ferme sa gueule et hoche vaguement la tête. Fut un temps où elle s'amusait à jouer les rebelles ; elle est usée maintenant. Puis l'gars remonte ses petites lunettes, éponge son front – bordel, il fait pas si chaud pourtant – et lui balance que « (…)le personnage (...) il s'appelle Dery ? C'est moche Dery, (…) c'est à gerber. » La pauvre s'en étouffe avec sa fumée. « J't'emmerde. Dery c'très bien. » « C'est un putain de prénom de merde. Dery. Ça n'évoque rien pour la ménagère de plus de 50 ans. » « Elle est morte ta ménagère. Une balle dans l'crâne ; son fils la hait, il la trouve grosse et laide et vieille, bang, bang, son mari ne la touche plus depuis vingt ans, il se tape le voisin du dessous, bang, bang, et son chien a avalé toute les boulettes de mort-aux-rats plutôt que du supporter ses caresses zoophiles. BANG, BANG. Alors fous-moi la paix avec Dery. Tous les putains d'irlandais de Woodside vont se pisser dessus en entendant son nom, ça va leur rappeler leur sainte-patrie. Puis c'est une référence à King. Au Maine. Aux dockers hirsutes. Ursus arctos. Et j't'emmerde. » Décroisant ses jambes interminables étalées sur le bureau, elle se redresse, écrasant sa clope sur le bois usé. Elle ramasse son vieux sac, arrache le précieux script des mains de l'incapable et, pointant un doigt belliqueux dans sa direction, elle le fixe de ses yeux délavés. « T'auras ma nouvelle merveille demain. T'avises pas de la refuser. » Le type ne sait pas vraiment s'il doit rire ou pleurer. Il se contente de soupirer. Lula est quelqu'un d'un peu particulier. Elle sort en claquant la porte, descend les escaliers, salue vaguement une secrétaire empressée. Et puis soudain la rue, la rue sous ses pieds.

Ça fait un peu mal. Déloyal.