« Les hommes craignent la mort par la même raison que les enfants ont peur dans les ténèbres. »

La mort. Elle rôde, spectre obscur, elle prend diverses formes. Elle nous crève, nous emporte et parfois, elle a le visage d'un des notres, elle nous regarde à travers ses yeux. On le sait, il n'y a plus aucun endroit pour fuir, plus aucun refuge. On est seul. « Je préfère te jeter dans les eaux du Gange moi-même si tu quitte encore une fois le sol de tes ancêtres, Rashmika » Appel de la culture, j'étouffe. « Non ! Tu parles de respecter ta culture mais tu t'es mariée avec un étranger ! » Manque de respect, elle lève une main en ma direction. Tagueule en gros. Mais ma gueule, j'en ai marre de la boycotter. « Je veux aller vivre en Amérique, je veux aller avec mon père ! Je n'ai pas envie de vivre ici » « Tu resteras en Inde ! Tu te marieras et fonderas une famille ! Ton père a mis de côté une somme pour ta dot ! » « Dot ? Mais on est en 2012 ! Il faut évoluer avec son temps ! Tu vas quoi ? Organiser un mariage arrangé comme dans l'ancien temps ? Et puis quoi ? Je ne pourrais plus sortir sans la surveillance d'un homme ?! Nous ne sommes plus à ton époque et de toute façon, tu m'impose des règles que tu ne suis même pas ! T'es pas censée vivre dans la demeure de ton époux ? » « Je ne quitterai pas ma terre d'origine ! Je me suis mariée avec un étranger mais tu ne feras pas la même chose que moi » La présence de l'étranger calme les ardeurs mais la mort continue de rôder, elle m'assassine en silence, elle fait de moi son esclave, me dit avec sadisme que je ne peux être ce que je souhaite. « Je viens pour trancher ! Vous repartez toutes les deux avec moi en Amérique, c'est ma décision, fin de la discussion » J'ai le sourire aux lèvres, ma mère, elle courbe l'échine : l'époux a parlé. La mort s'en va, la crainte s'envole. « Rashmika, tu reprendras tes études, tu vivras comme une américaine car tu es une. J'ai des plans pour toi » Va la mort, va-t-en. Jubilation. Je me sens légère « Je t'ai trouvé un mari idéal, l'arrangement est déjà scellé. Un homme issu d'une famille riche et puissante. Cette alliance est d'un bon présage » Pour ta gueule ou ton business ? Trahison ! Il use de ma culture pour m'enchaîner, pour gagner en galon. Nausée. Accablement. La mort, elle vogue dans son regard et m'envoie des poignards dans l'âme. Elle ricane et danse sur mon cadavre quand à mon tour, je courbe l'échine. Courber l'échine à en crever. Je vais à ma propre perte, la crainte au ventre ...

Rage au ventre. « Rashmika ! C'étrange comme prénom » Le coup part, dictature du silence « Tagueule, j't'ai d'jà dit d'm'appeler Mike ici ! Faut qu'j'te le dise en quelle langue ? » L'autre se frotte la joue et m'incendie du regard. Dans le sien, il n'y a que de l'incompréhension, aucune trace de la faucheuse. Ici, sur ce territoire, je ne crains rien, ici ce territoire, la mort n'est pas. « Ok, ok. Pourquoi Mike ? C'un blaze d'mec et à ce qu'je sache t'as une paire d'nichons » Idiote sans cervelle. « Parce qu'quand j'suis ici Rashmika est enterrée, morte, muerte, ok ? Et j'deviens Mike parce qu'naître en tant qu'femelle, c'un fardeau, c'd'la merde. Allez magne t'cul ! J'ai pas envie d'moisir ici » « Pfff ! Et dire qu't'viens des hautes sphères ... on y croirait pas à t'entendre causer » On dégage de cette ruelle infâme. C'est pas la place de deux jeune filles ici, trop dangereux, trop risqué mais je m'en fous. Je n'ai peur de rien, je suis morte plusieurs fois, tellement de fois, peut-être trop de fois.