« Je vivrai sans que mon coeur batte, sans avoir de coeur. » (Réjean Ducharme)

BACK IN TIME
- Qu'est-ce t'essaies de faire exactement Lieve ? Elle tressaillit au son de sa voix et jure entre ces dents serrées. Elle ne sait pas comment il a pu la trouver, et elle ne veut pas savoir. Mais à tous les coups, c'est ce con de Billie Joe qu'a sonné l'alarme parce qu'elle est pas allée bosser aujourd'hui. Alors ils ont envoyé la cavalerie la chercher, monsieur est monté sur ses grands chevaux, monsieur a trouvé ce vieux motel pourri perdu à la périphérie de la ville, et maintenant monsieur a les bras croisés et l'air blasé. - Tu nous fais un remake de Virgin Suicides ? T'as vraiment envie de te foutre en l'air ? Accrochée à la rambarde du balcon, trois étages au-dessus du sol, la brune se retourne pour le regarder, un air de défi dans les yeux. Elle a déjà fait glisser ses chaussures mais lâchera-t-elle ? - Je vais le faire cette fois, t'approches pas. Elle inspire, sent le vent caresser son corps à moitié dénudé, puis jette un oeil en bas. Vertige, frissons, ses mains se resserrent férocement autour de la barre de fer. Elle déglutit, sent son palpitant danser dans sa poitrine, lâche une main et s'apprête à lâcher l'autre mais elle se met à crier. - J'peux pas, j'peux pas. Viens me chercher s'il te plaît ! Elle a envie de fondre en larmes mais Lieve ne pleure pas. Jamais. L'espace d'un instant, il a vraiment cru qu'elle allait le faire, il a avancé d'un pas et lâché un "eh merde" à peine perceptible puis a soufflé de soulagement. Il se dirige vers le balcon, l'attrape et la porte jusque la salle de bain où il la déshabille et lui fait prendre un bain. Doucement, il effleure son épaule, nettoie ses cheveux, de quoi la calmer. Pour un moment. Parce qu'elle cherchera à recommencer, encore, et ce sera à lui de l'en empêcher. Avec un peu de chance, elle réussira à s'éclater le crâne contre l'asphalte frigide cent mètres plus bas, ballet de dents éclatées, dernière chaleur, mort rapide mais plus de merde à nettoyer. Ou alors peut-être qu'elle s'enfilera sa boîte de prozac qui traîne sur sa table de chevet avec un tas de somnifères, partir paisiblement dans son sommeil. Mais il est plus probable qu'elle ne fasse rien, qu'elle s'arrête au moment fatidique, parce qu'elle a peur. C'est bien connu, Lieve, c'est qu'une lâche. Elle a arrêté le lycée au moment d'être diplômée, elle est partie de chez elle quand son père est tombé gravement malade, elle a quitté tous ceux qui tenaient à elle et lui demandaient un petit quelque chose en retour, le respect, l'amour, l'affection. - Je me sens malheureusement condamnée à vivre. déclarera-t-elle.

RESET
Paraît qu'elle va mieux, n'a plus rien tenté depuis plus d'un an. Lieve a retrouvé un semblant d'intérêt aux choses qui l'entourent, ri, fume, boit, baise, s'explose le crâne. Mais elle ne pourra jamais expliquer son mal, ce mal qui la guette et la tire dans les recoins les plus noirs de son âme.