C'est le soir, j'sais pas quelle heure il est. Ving-deux, vingt-trois heure, dans ces eaux-là. Toujours est-il que j'reviens d'une séance de danse éprouvante. J'suis limite habillé comme un malpropre, vieux survet' gris qui doit pas vraiment sentir la rose. Je sors de l'espèce de cave où on se retrouve pour faire ce qu'on aime. J'suis fatigué, j'ai presque envie de retourner dans ma piaule et de dormir pendant douze heure, histoire d'être frais pour attaquer une nouvelle journée. Mais j'y vais pas, parce que pas loin je sais qu'il y a le studio miteux de Lore. J'pourrais très bien passer devant sa porte sans sonner, l'ignorer comme je l'ai si bien fait auparavant, lorsque j'ai cessé d'aller la voir. Pour quelles raisons, au juste ? Parce que j'ai trouvé des filles plus jolies, avec de plus gros boobs et plus de chair sur les fesses et les cuisses ? On est d'accord, c'est loin d'être une excuse valable, et si j'lui dis ça, je sens que je vais me prendre la douche froide de ma vie. Et puis j'ai franchement pas envie de me battre avec elle, j'veux juste lui tenir compagnie, comme on a pris l'habitude de le faire, de plus en plus. J'pourrais presque la considérer comme une amie, mais j'ai toujours le goût amer de la culpabilité au fond de la gorge, là, comme une lame de rasoir. Je m'en veux, je m'en veux pas. Je suis pas tellement certain de ce que je pense. Malgré qu'elle fasse parfois le tapin, elle mérite pas tout ça. Je soupire, tombe face à sa porte. Je sonne, même si ça servira à rien, parce qu'à tous les coups le verrou est pas fermé. J'actionne la poignée de la porte, et constate avec plaisir qu'elle s'ouvre. J'aime pas rester comme un con sur le palier à attendre qu'on vienne m'ouvrir. Puis Lore a pas grand chose à craindre avec moi. J'suis le dernier qui irait la rabaisser ou lui faire du mal. J'entre, allume la lumière. C'est moi. Vega. je dis, tout simplement. Bon allez, prête pour ta séance de sport ? je crie presque, pour la motivation, et je tape dans mes mains, pour le faire à la hophophop, on y va, c'est parti ! J'enlève mon sweat, le roule en boule et le balance sur le canapé, face à moi.

Quand tu es rentrée, le soleil brillait déjà depuis un bon moment. Sur le chemin, tu as perdu ta paire de talons. Rectification. Tu avais mal aux pieds, alors tu les as abandonnés sur le trottoir. Les gens te dévisageaient, tu souriais. Comme toujours. Ils pouvaient sentir à tes kilomètres ton odeur de vodka, alors ils ne s’approchaient pas de toi. Ou alors, avec dégoût. Certains riaient. Et tu riais avec eux. La vie était belle, les – rares – oiseaux chantaient pour toi et ton lit t’attendait bien sagement. Où était-il ton lit d’ailleurs ? Tu avais oublié. Quelque part. A droite. Ou à gauche. ‘Faut croire que ton inconscient était plutôt bon en repérage dans l’espace, puisque t’as fini par le retrouver, ton appartement. A peine le temps de te foutre à poil, que tu roupillais déjà comme une gosse.

C'est moi. Vega. Tu sursautes, les yeux encore fermés. Vega ? Vega. Mais qu’est-ce qu’il fout ici ? Tu émerges à moitié des couvertures, les cheveux en désordre et le visage froissé – maquillage noir jusqu’en bas de joues, ou presque. Bon allez, prête pour ta séance de sport ? Mais pourquoi il crie ? Tu ouvres un œil. Lumière. Lumière crue qui te brûle les yeux. Tu grognes, comme une petite lionne en colère. Mais putain, qu’est-ce qu’il fout là (bis) ? Pour une fois que tu dormais comme un bébé. Tu te redresses, sur ce matelas à même le sol qui te sert de lit. Du coin de l’unique pièce, tu l’observes avec une moue étonnée. Il est pas gêné, quand même. Coup d’œil à ton réveil numérique qui indique six heures du matin. Rapide calcul mental, grimace encore plus accentuée. Mais qu’est-ce que tu fous là à six heures du mat’, Vega ? Y’a des gens qui dorment, tu sais.Et puis tu te souviens que tu n’as jamais réussi à foutre ce truc à l’heure et qu’il déconne sûrement. Et que, de toute façon, tu pionces rarement à six heures, soyons clairs. Six heures, c’est pas une heure pour dormir. Alors quelle heure il est ? Tu jettes un coup d’œil par la fenêtre, aux volets jamais fermés. Il fait nuit. Réponse à ta question.
Tu t’assois en tailleur, les draps glissent. T’es nue et ça te fait ni chaud ni froid – parce qu’en vrai, tu ne t’en rends même pas compte et le seul truc qui pourrait te faire tilter, ce serait le regard de Vega, mais tu ne le regardes pas, t’es perdue dans tes pensées. Tu devais travailler aujourd’hui, non ? Genre 18-23 heures ou quelque chose dans le genre. Il est quelle heure ? Sûrement trop tard. Tant pis.
Tu reportes ton attention sur Vega, une demie seconde. Tu crois vraiment que j’suis d’humeur à faire du sport ? Moue souriante, histoire de pas paraître trop désagréable. J’ai même pas le temps de prendre une douche avant, histoire d’me réveiller, tu vois ?

Mais qu’est-ce que tu fous là à six heures du mat’, Vega ? Y’a des gens qui dorment, tu sais. J'éclate de rire. Elle est sérieuse la Lore ? Qu'est-ce qu'elle a pris avant de dormir ? Deux verres de trop plus des cachets un peu chelous, peut-être bien, un truc dans ces eaux-là probablement. Faudrait songer à changer l'heure sur ton réveil, ma belle, il est 23h. elle se pose en tailleur, le drap glisse sur ses cuisse, elle est là, les seins à l'air (si on peut appeler ça des seins) totalement indifférente à sa nudité. J'évite de mater son corps, pour pas passer pour le pervers de service, mais faut dire que j'oublie pas non plus les nuits passées ensemble et tout ce qu'il va avec. Tu crois vraiment que j’suis d’humeur à faire du sport ? rien à foutre, je réponds rien, ignore sa grimace souriante, et attends, les bras croisés. J’ai même pas le temps de prendre une douche avant, histoire d’me réveiller, tu vois ? je pousse un grand soupir. T'es conne ou quoi ? Tu vas pas te doucher alors que tu vas transpirer dans même pas cinq minutes. je me dirige vers son matelas au sol, le retourne sur elle, histoire de bien l'agacer parce que c'est drôle. Enfile quelque chose, tu vas pas rester à oilp ! j'suis pas méchant avec Lore, je m'épargne juste des délicatesse, parce qu'avec elle ça sert strictement à rien tu vois. Je fouille dans le bordel qu'est sa piaule, trouve un jogging, un tee-shirt, je balance le tas de fringues à sa face. Allez ! Presse-toi. c'est à mon tour d'esquisser un demi-sourire. Bien sûr que je la taquine, bien sûr que je la trouve pas conne, bien sûr que j'l'apprécie. C'est juste devenu une sorte d'habitude de lui tirer les cheveux pour la pousser à bout. Mais bon, j'pense qu'elle s'en fout. Parce que ouais, Lore elle se fout de tout.

23 heures. 23 heures. 23 heures ?! C’est officiel, t’as encore manqué une journée d’boulot. Ce qui est tout aussi officiel, c’est que si tu continues comme ça, tu vas finir par te faire virer – même si le patron n’est jamais là, il finira bien par se rendre compte que quelque chose cloche, non ? Il est pas con. Il peut pas être aussi con. Tu regardes Vega en souriant – sourire en coin. Il te sert du ma belle et ça te semble presque trop prude dans sa bouche. C’est drôle comme les gens changent, c’est drôle comme les relations évoluent, c’est drôle comme tu n’aurais jamais pu imaginer ça y’a un an. Drôle. Tu sais plus si c’est le mot ou pas. Dépitée, tu balances un oreiller sur le réveil qui ne sert à rien, même pas objet de déco vu sa triste allure. Il faudrait que tu retrouves la notice d’utilisation – ou que tu t’en occupes durant l’un de ces moments où tu es totalement sobre. Au choix.
Monsieur joue à l’homme, celui qui croise les bras et qui fronce les sourcils, limite. Monsieur fait l’pressé, monsieur fait celui qui s’en fout et il te prend pour son petit soldat. Drôle de petit soldat avec sa tronche de travers, ceci dit. Drôle de petit soldat, avec ses cheveux en l’air. Et le reste. T'es conne ou quoi ? Tu vas pas te doucher alors que tu vas transpirer dans même pas cinq minutes. Remarque des plus pertinentes, ce qui blesse un brin ton égo – et te donnes une folle envie de lui tirer la langue, façon gamine rebelle qui n’en a rien à faire et qui veut établir sa loi partout où elle fout les pieds. Limite t’as envie de le supplier, monsieur le professeur juste une douche de cinq minutes histoire que j’sois un tout petit peu opérationnelle, juste un peu mais tu t’abstiens juste parce qu’il te fout le matelas sur la gueule. T’as rien vu venir. Gestes précis et rapides, comme s’il les avait réfléchi pendant une heure. T’as envie de rire, mais tu vas pas lui faire ce plaisir. Tu préfères crier, à moitié. Tu m’soules. Tu m’soules, tu m’soules, tu m’soules. Et tu vas m’le payer. Je sais pas quand, mais tiens-toi prêt. D’un coup d’épaule – frêle – tu te dégages. Et là, il te fait juste remarquer t’es à oilpé. Tu baisses la tête – bonsoir les petits seins de Lore, comment allez-vous ? – et puis tu la relèves, mine amusée. Il mate ? Il mate pas ? Mais merde, fais-toi plaisir, Vega, c’est gratuit. Pour une fois. J’vous comprends pas, vous les mecs, parfois. Sourire angélique. Limite t’es fière de toi. Vraiment limite. Pour toute réponse, tu te reçois des fringues à la figure. Parce qu’il fouille sans vergogne. Parce qu’il s’croit chez lui. Deux s’condes, sergent. Tu te mets sur tes jambes – tu tangues, t’as la tête qui tourne encore un peu – t’attrapes un string dans ton armoire et tu enfiles t-shirt et jogging. Obéissante. C’est bon, j’suis plus à ton goût comme ça ? Quelle idée. Tu ressembles juste à une loque. T’es en piteuse état, voilà tout. Tu crois qu’on peut s’y mettre, maintenant ?Tu insistes, presque. Merde. Il a réussi à te motiver en deux en trois mouvements. Il est efficace. Il devrait peut-être en faire son métier. Tu l’imagines bien. Avec des gamines toutes plus chiantes les unes que les autres. Tu t’approches de lui, le menton relevé. Presque un air de défi sur la gueule. On commence par quoi ? Alors que tu sais très bien que tu vas t’écrouler dans deux minutes, maximum. T’es prête à lui répéter des yo sereins et à cracher par terre, pour faire comme si.

Tu m’soules. Tu m’soules, tu m’soules, tu m’soules. Et tu vas m’le payer. Je sais pas quand, mais tiens-toi prêt. je ricane. J'ai hâte de voir quelle vengeance elle me prépare. Déjà, elle pourra pas se servir de la violence, parce qu'on peut la briser en deux cette petite. Ce sera sûrement une ruse, vicieuse comme elle est, de toute façon. Je me contente de lever les yeux au ciel. Mais merde, fais-toi plaisir, Vega, c’est gratuit. Pour une fois. J’vous comprends pas, vous les mecs, parfois. elle a ce sourire victorieux qui m'agace et qui me donne envie de la claquer, comme une gamine de sept ans. Mode peste: on. Y a rien à regarder en fait. elle titube presque lorsqu'elle se met debout pour pouvoir mettre quelque chose sur ses fesses à l'air. Deux s’condes, sergent. C’est bon, j’suis plus à ton goût comme ça ? Tu crois qu’on peut s’y mettre, maintenant ? elle s'approche de moi, le menton relevé, genre boxeuse sur le ring, prête à m'mettre un coup de boule. Fin bon, vaut mieux qu'elle évite si elle veut pas se péter le crâne contre moi. Je me contente de pousser un soupir pour unique réponse. On commence par quoi ? parce qu'elle est motivée, maintenant, la petite ? Deux minutes plus tôt, elle était encore sous la couette, sans qu'elle sache que je débarquerais dans sa piaule en hurlant comme un débile pour qu'elle remue ses fesses autrement que pour pécho. Déjà, tu t'allonges et tu me fais une série de... vingt abdos. On commence doucement. Attends, tu viens de te réveiller. J'suis gentil moi. sourire forcé. J'te montre, vu comme t'es nulle. j'me mets sur le dos, je plie mes genoux, remonte jusqu'à eux en soufflant à chaque effort. Allez, à toi grosse feignasse. j'accompagne mes mots d'un coup de pied sur ses fesses trop maigres.